Les seins de la colère
Article sur Jean-Pierre Desvigne
suite
31/05/2011
L'affaire des cartes postales de seins, la suite
Est-il possible d’envoyer une carte postale à caractère érotique sans se retrouver en garde à vue, puis inculpé d'atteinte à la dignité humaine? Le détournement de courrier est illégal en France. Et pourtant…
En France, personne n’a le droit d’ouvrir vos lettres, ni de lire votre correspondance, qu’elle soit ou pas sous enveloppe: c’est une atteinte à la vie privée, sanctionnée par l’article 432-09 du Nouveau Code Pénal. Les agents de la Poste sont, par ailleurs, tenus par serment d’acheminer votre courrier sans, au passage, y jeter un oeil ni rendre public son contenu. Bien que le détournement de correspondance relève du délit, en juin 2008, le directeur adjoint du centre de tri postal de Cahors, s’empare de quatre cartes postales qu’il juge offensantes et, avec la complicité du directeur du centre, va les apporter à la gendarmerie. Officiellement, c’est une femme, agente à la poste, qui a donné l’alerte. Elle aurait été profondément bouleversée à la vue de ces cartes affirme-t-on, sans que l’identité de cette mystérieuse inconnue n'ait jamais été révélée… Pourquoi un tel bouleversement? Parce que les cartes en question montrent une jeune femme au buste nu. On voit ses seins. Pire: on voit qu’elle porte une pince à linge sur chaque téton.
J’avais déjà parlé de cette affaire rocambolesque il y a deux ans. Voici donc la suite, pas piquée des hannetons. L’homme qui a posté ces cartes postales érotiques est un artiste nommé Philippe Pissier. En juin 2008, le commissaire d’une exposition consacrée au "mail art" lui demande de participer. Le "mail art" est une forme d’art qui consiste à envoyer des choses artistiques par la poste. Philippe Pissier fait donc quatre cartes postales avec des photos d’une ancienne petite copine, connue comme modèle-bondage.
En France, personne n’a le droit d’ouvrir vos lettres, ni de lire votre correspondance, qu’elle soit ou pas sous enveloppe: c’est une atteinte à la vie privée, sanctionnée par l’article 432-09 du Nouveau Code Pénal. Les agents de la Poste sont, par ailleurs, tenus par serment d’acheminer votre courrier sans, au passage, y jeter un oeil ni rendre public son contenu. Bien que le détournement de correspondance relève du délit, en juin 2008, le directeur adjoint du centre de tri postal de Cahors, s’empare de quatre cartes postales qu’il juge offensantes et, avec la complicité du directeur du centre, va les apporter à la gendarmerie. Officiellement, c’est une femme, agente à la poste, qui a donné l’alerte. Elle aurait été profondément bouleversée à la vue de ces cartes affirme-t-on, sans que l’identité de cette mystérieuse inconnue n'ait jamais été révélée… Pourquoi un tel bouleversement? Parce que les cartes en question montrent une jeune femme au buste nu. On voit ses seins. Pire: on voit qu’elle porte une pince à linge sur chaque téton.
J’avais déjà parlé de cette affaire rocambolesque il y a deux ans. Voici donc la suite, pas piquée des hannetons. L’homme qui a posté ces cartes postales érotiques est un artiste nommé Philippe Pissier. En juin 2008, le commissaire d’une exposition consacrée au "mail art" lui demande de participer. Le "mail art" est une forme d’art qui consiste à envoyer des choses artistiques par la poste. Philippe Pissier fait donc quatre cartes postales avec des photos d’une ancienne petite copine, connue comme modèle-bondage.
Quelques jours plus tard, voilà Philippe Pissier en garde à vue. On lui signifie qu’il est passible de trois ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende, en vertu de l’article 227-24 du code pénal. Motif: trouble à l’ordre public et mise en danger du psychisme des enfants par une oeuvre pornographique. Philippe Pissier s’étonne: ces cartes postales ne sont pourtant pas pornographiques ? Et depuis quand La Poste fait-elle travailler des mineurs ? Le voilà pourtant perquisitionné à son domicile. Le 3 juillet, la brigade de recherche de Cahors emporte son ordinateur et quelques dizaines de ses oeuvres.Près d’un an d’enquêtes et de procédures suivent, au frais du contribuable. Le 14 mai 2009, Philippe Pissier est jugé à Cahors sur la base d’un délit qui n’existe pas: ses cartes postales ne sont pas pornographiques. «La définition de la pornographie se résume en deux mots: organes génitaux, explique Maître Baduel, l’avocat de Pissier. Pour être plus clair: vulve et pénis. Bien sûr, s’il s’agit d’une statue d’éphèbe antique ou d’un Jésus Christ en croix, ce n’est pas de la pornographie, c’est de l’art. La notion de pornographie ne s’applique pas à toutes ces statues qui montrent la victoire en chantant. Il est en tout cas certain qu’elle ne s’applique pas à une jeune fille topless. Qu’il y ait des pinces à linge ou pas n’y change rien. C’est de l’érotisme. Et l’érotisme ne relève de l’"outrage public à la pudeur". L’autre accusation - «diffusion d’un message pornographique ou violent susceptible d’être vu par des mineurs» – est également caduque pour une raison très simple: aucun mineur ne travaille à la Poste. Nous sommes dans un pays où les enfants vont à l’école, quelle chance.
Un an passe (c’est long les procès). Le 25 juin 2010, Philippe Pissier apprend qu’il est finalement relaxé puisqu’il n’a commis aucun délit. Une paire de sein n’est pas un délit, quelle surprise. Il fallait probablement une longue enquête pour arriver à cette constatation. Philippe Pissier va-t-il pouvoir reprendre le cours normal de sa vie? Non. On ne lui rend pas les objets confisqués.
Baduel résume ainsi la situation: «Imaginez que vous postiez une carte postale érotique, comme il en existe des centaines. La personne chargée de la transmettre s’en offusque. Elle prend la carte et l’apporte à la gendarmerie ou au commissariat. La dénonciation est suivie d’une mise en examen. On fouille votre appartement de fond en comble, on embarque votre ordinateur, on demande une expertise informatique pour voir si vous n’êtes pas pédo-pornographe, voire un pédophile. On vous intente un procès couteux, long et désespérant. Puis, ayant constaté qu’aucune poursuite n’est recevable à votre encontre, on ne vous restitue rien… Vous avez été victime d’un délit. Mais de cela bien évidemment qui s’en soucie? Estimez-vous heureux que la loi vous ait blanchi.» Un exemple typique d'abus de droit.
Philippe Pissier ne s’estime pas heureux. Il porte plainte contre le directeur du centre de tri de Cahors et contre son directeur adjoint pour détournement de correspondances et dénonciation mensongère. Il porte également plainte contre un lieutenant de gendarmerie pour recel de correspondance détournée.
«A ma première audience, le directeur du centre de tri a prétendu "qu'en raison du règlement intérieur de la Poste, il se devait de détourner mon courrier et le présenter aux autorités compétentes." Maître Baduel lui demande s'il a eu l'idée de prendre le règlement en question avec lui.
"Ah bah, je ne savais pas qu'on allait me le demander.."
"Evidemment ! Evidemment !"
Le directeur demande l'autorisation de quitter l'enceinte du tribunal pour aller chercher le papier. Il revient à bout de souffle vingt minutes plus tard et tend le papier à mon avocat qui s'esclaffe : "En vertu de l'article 283 du code pénal (outrage aux moeurs) ? Mais il est abrogé depuis au moins vingt ans !". Puis se tourne vers la greffe et déclare : "Je prie le tribunal de noter que Monsieur B. fait prêter serment sur des articles de loi qui n'existent pas."»
Si on résume l'histoire, l'interception de mon courrier n'étant pas justifiée par des textes légaux, toute la procédure était bidon depuis le départ. Pascal Borie ne pouvait ignorer que la législation à laquelle il se référait était caduque: il est quand même directeur du centre de tri. Les flics ne pouvaient l'ignorer et le ministère public non plus. Donc: quand un agent de la Poste va chez les gendarmes avec mes cartes, il est en train de commettre un DELIT FLAGRANT. Les gendarmes auraient dû lui mettre les bracelets. Au lieu de ça, ils vont voir la première substitut du procureur pour que le ministère public porte plainte contre moi. Elle refuse. Ils se rabattent sur la seconde substitut, qui à ce moment n'a que huit mois d'expérience de la vie de parquet… et l’affaire est dans le sac. Songez donc: mes cartes postales montrent une femme avec les seins nus et les tétons pincés… Je devais être un dangereux pédo-criminel».
La dernière fois qu’une affaire de cette nature s’est produite dans le monde du mail-art, c’était en 1980. Elle concernait le courrier d’un certain Jürgen Gottschalk. Cela se passait en Allemagne de l’Est.
En France, autorisera-t-on n'importe quel agent de La Poste à aller vous dénoncer? Va-t-on mettre en place une censure des cartes postales sous prétexte que certaines formes d'érotisme "avilissent" la femme ? La Poste qui prétend défendre la dignité de l'espèce humaine fait chaque jour transiter des centaines de cartes aussi stupides que grivoises… Mais de cela qui se scandalise ? La vulgarité, ça ne fait de mal à personne, n'est-ce pas.
Le jugement a été mis en délibéré au 7 juillet. Affaire à suivre.
Illustration : collection Poupi.
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Un an passe (c’est long les procès). Le 25 juin 2010, Philippe Pissier apprend qu’il est finalement relaxé puisqu’il n’a commis aucun délit. Une paire de sein n’est pas un délit, quelle surprise. Il fallait probablement une longue enquête pour arriver à cette constatation. Philippe Pissier va-t-il pouvoir reprendre le cours normal de sa vie? Non. On ne lui rend pas les objets confisqués.
Baduel résume ainsi la situation: «Imaginez que vous postiez une carte postale érotique, comme il en existe des centaines. La personne chargée de la transmettre s’en offusque. Elle prend la carte et l’apporte à la gendarmerie ou au commissariat. La dénonciation est suivie d’une mise en examen. On fouille votre appartement de fond en comble, on embarque votre ordinateur, on demande une expertise informatique pour voir si vous n’êtes pas pédo-pornographe, voire un pédophile. On vous intente un procès couteux, long et désespérant. Puis, ayant constaté qu’aucune poursuite n’est recevable à votre encontre, on ne vous restitue rien… Vous avez été victime d’un délit. Mais de cela bien évidemment qui s’en soucie? Estimez-vous heureux que la loi vous ait blanchi.» Un exemple typique d'abus de droit.
Philippe Pissier ne s’estime pas heureux. Il porte plainte contre le directeur du centre de tri de Cahors et contre son directeur adjoint pour détournement de correspondances et dénonciation mensongère. Il porte également plainte contre un lieutenant de gendarmerie pour recel de correspondance détournée.
«A ma première audience, le directeur du centre de tri a prétendu "qu'en raison du règlement intérieur de la Poste, il se devait de détourner mon courrier et le présenter aux autorités compétentes." Maître Baduel lui demande s'il a eu l'idée de prendre le règlement en question avec lui.
"Ah bah, je ne savais pas qu'on allait me le demander.."
"Evidemment ! Evidemment !"
Le directeur demande l'autorisation de quitter l'enceinte du tribunal pour aller chercher le papier. Il revient à bout de souffle vingt minutes plus tard et tend le papier à mon avocat qui s'esclaffe : "En vertu de l'article 283 du code pénal (outrage aux moeurs) ? Mais il est abrogé depuis au moins vingt ans !". Puis se tourne vers la greffe et déclare : "Je prie le tribunal de noter que Monsieur B. fait prêter serment sur des articles de loi qui n'existent pas."»
Si on résume l'histoire, l'interception de mon courrier n'étant pas justifiée par des textes légaux, toute la procédure était bidon depuis le départ. Pascal Borie ne pouvait ignorer que la législation à laquelle il se référait était caduque: il est quand même directeur du centre de tri. Les flics ne pouvaient l'ignorer et le ministère public non plus. Donc: quand un agent de la Poste va chez les gendarmes avec mes cartes, il est en train de commettre un DELIT FLAGRANT. Les gendarmes auraient dû lui mettre les bracelets. Au lieu de ça, ils vont voir la première substitut du procureur pour que le ministère public porte plainte contre moi. Elle refuse. Ils se rabattent sur la seconde substitut, qui à ce moment n'a que huit mois d'expérience de la vie de parquet… et l’affaire est dans le sac. Songez donc: mes cartes postales montrent une femme avec les seins nus et les tétons pincés… Je devais être un dangereux pédo-criminel».
La dernière fois qu’une affaire de cette nature s’est produite dans le monde du mail-art, c’était en 1980. Elle concernait le courrier d’un certain Jürgen Gottschalk. Cela se passait en Allemagne de l’Est.
En France, autorisera-t-on n'importe quel agent de La Poste à aller vous dénoncer? Va-t-on mettre en place une censure des cartes postales sous prétexte que certaines formes d'érotisme "avilissent" la femme ? La Poste qui prétend défendre la dignité de l'espèce humaine fait chaque jour transiter des centaines de cartes aussi stupides que grivoises… Mais de cela qui se scandalise ? La vulgarité, ça ne fait de mal à personne, n'est-ce pas.
Le jugement a été mis en délibéré au 7 juillet. Affaire à suivre.
Illustration : collection Poupi.
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Article sur Jean-Pierre Desvigne
dans la Presse d'Armor datant du 06 octobre 2010
Je ne sais plus à quels seins me vouer
Frédéric Dard
Publié dans les Inrockuptibles N°670
Le 30 septembre 2008
http://sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/2008/09/photos-de-seins.html
5 commentaires:
Inquiétant ...
Ayant participé -il y a quelques années-à un projet d'art postal "Breast cancer", je vois à quoi je me suis exposée en envoyant un dessin de femme dénudée, à la manière de Vénus !
Le rapprochement, fait par l'auteur de l'article avec les milliers de cartes postales d'un goût plus que douteux échangées commercialement chaque année est ...tristement significatif
Miss Yves
Sic ... c'etait donc cela dont nous avions parlé lorsque nous nous sommes rencontré au vide-grenier ...
Quelle tristesse ...
Que devient cette affaire ? C'est ce que demande R.F Côté -dans le dernier numéro d'octobre de circulaire 132-?
...de novembre
La suite de cette histoire pas comme les autres : http://pissierarchives.canalblog.com/
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